Guérir le monde

1- Nous ne voulons pas guérir le monde

2- Non !

Nous ne voulons pas recoudre la toile déchirée de l’égalité ;

3- Le lion se nourrirait-il d’herbes ?

L’hyène partagerait-elle la dépouille ?

Le roi dirait-il : « je ne veux pas de majesté ? »

4- L’homme se repaît de puissance,

Il s’enorgueillit de faire charité ; qui se priverait de l’ivresse des reconnaissances ?

5- Qu’elle est respectable la prostituée qui à la table des rois mange

Il en est de même pour le malicieux assis au banquet des dieux.

6- L’enfant affamé se laisserait-il ôter le lait de la bouche ?

Le misérable cracherait-il sur l’objet de sa pitance ?

7- L’Homme se nourrit de l’Homme

Untel court, untel s’en divertit ;

Perdre haleine est-ce se tenir sur ses pattes arrière comme un caniche ?

8- Untel pleure, untel, dans sa caravane, circule

Les larmes sont-elles devenues sables du désert ?

9- L’insensé a dit : « je prendrais le taureau par les cornes »

Le sage a ri, et lui a fourni une robe pourpre ;

10- « Tu t’en couvriras la tête de peur que tes yeux ne soient arrachés

Car après le taureau vient le grand aigle :

Qui lui arrachera sa proie dans ses griffes acérées ? »

11- La justice a fait sa demeure dans la chimère

Là où le pauvre et le faible vont fumer le calumet,

En parlant d’empires qu’ils bâtiraient  s’ils étaient riches et forts ;

La justice les écoute et pleure :

Une proie devenue prédatrice aura-t-elle égard à d’autres proies ?

12- L’avidité est tantôt geôle du cœur, tantôt trône du cœur

Elle est à la fois hyène et lionne ;

Lorsqu’elle ne chasse pas, elle se nourrit de dépouilles

Qui pourrait l’affamer ?

13- Certainement pas l’Homme qui,

Déjà dans le sein maternel s’habitue à regarder son nombril,

Et plus tard craint l’enfant issu de la même matrice que lui.

14 Non !

Nous ne pouvons pas guérir le monde !

15- Le tigre et la biche s’allieraient-ils pour faire la paix ?

La panthère et la gazelle dormiraient-elles dans la même tanière ?

Pareillement, un fleuve et un ruisseau partageraient-ils le même lit ?

16- Quand deux forces antagonistes, à la destinée président,

L’incertitude, sur ses gonds, tourne.

17- L’égalité est un champ clos ; le jour d’après en possède les clefs.

18- L’incertitude est un fauve, elle ne veut manquer de provision ;

Demain est incertain, il dévore le vert manteau que tisse le champ clos.

19- L’homme tiré du sol penserait-il à demain

Comme l’oiseau insouciant qui ne sème ni ne moissonne ?

Comme la fleur des champs qui ne file ni ne tisse ?

20- Non !

Même si nous semblons le souhaiter ardemment

Nous ne voulons pas guérir le monde !